Lors de la réunion du 7 décembre 2017, le conseil d’administration du Comité régional d’histoire de la Sécurité sociale Midi-Pyrénées a bénéficié d’une communication d’Albert Anouilh. L’ancien Directeur général adjoint de la MSA Midi-Pyrénées Sud a captivé l’auditoire par son exposé sur « Maurice Hauriou, penseur du social ». C’est là un aspect moins connu dans l’œuvre du doyen de la faculté de droit de Toulouse de 1906 à 1926 que sa « théorie de l’institution », ses « Précis de droit administratif » ou ses commentaires des arrêts du Conseil d’Etat. Albert Anouilh a résumé ainsi sa dense communication :
« En 1899, la Librairie de la Société du recueil général des Lois et des Arrêts publiait « Leçons sur le MOUVEMENT SOCIAL données à Toulouse en 1898 » par Maurice Hauriou. Ces six leçons réservent des surprises. L’auteur en livre la genèse : méditant sur la notion de «pouvoir», il est amené à distinguer un élément matériel, le potentiel, dont le concept de «pouvoir» représente le corrélatif formel, construit et socialement partagé. Tel pourrait être le concept d’«idée-force» mis au point par Alfred Fouillée. Concept insuffisant selon Hauriou qui le rappelle mais pour mieux le dépasser, non par une conception philosophique à base de connaissance et de volonté, mais par un modèle, la thermodynamique, que décrit Henri Poincaré qui en fait le support de « toutes les branches de la philosophie naturelle ». Nous sommes donc en présence d’une philosophie de la nature, voire d’une cosmologie. C’est sous cette forme originale et par cette médiation que le professeur toulousain enrichit le solidarisme qui constitue le sol d’une République désormais politiquement affermie, mais toujours en quête d’une théorie justificatrice. Telle est la perspective dans laquelle Hauriou reconfigure les conceptions d’Émile Durkheim, de Gabriel Tarde, de Léon Bourgeois -théoricien officiel du solidarisme républicain-, d’Alfred Fouillée… La thermodynamique, au tournant du siècle, remet en cause le paradigme mécaniste et déterministe ; au déterminisme prédictif de Laplace succède une loi du changement exprimée par l’entropie. Hauriou relie indéterminisme cosmique et expansion d’une loi de liberté, loi tendancielle du monde et des sociétés, au sommet de l’éthique et du droit. « Comme cet idéal de liberté maxima est poursuivi solidairement, il se présente, et c’est là une observation capitale, sous la forme d’un idéal de justice, car la justice c’est la liberté solidaire, la liberté dans l’égalité, la diffusion de la liberté. » (op. cit. Sixième leçon, p 113).
Il importe d’apprécier la pensée de Maurice Hauriou à partir d’un contexte socio-historique marqué par plusieurs crises : 1°) d’ordre politique et social : un exécutif paralysé par le représentatif, une peur diffuse des effets du suffrage universel et l’élaboration de son encadrement institutionnel, 2°) d’ordre épistémologique : mise en crise de l’explication mécaniste (Poincaré, Duhem), 3°) d’ordre juridique : l’inadéquation de la théorie civiliste aux nouvelles relations sociales nées de l’univers industriel, 4°) les combats personnels du professeur Hauriou : disputer à la sociologie son rôle directeur des sciences sociales, s’affirmer comme chef d’école contre le positivisme juridique (Adhémar Esmein, Raymond Carré de Malberg) et l’individualisme libéral (Charles Beudant), promouvoir un droit naturel conforme à la structure de l’univers tel que le révélait la thermodynamique. C’est ainsi que Maurice Hauriou articule trois états sociaux générant leur solidarisme spécifique, soit sommairement : l’organique (niveau de l’activité sociale), le représentatif (niveau réflexif et conceptuel), la conduite (niveau éthique et directif). A chacun de ces niveaux correspond une dimension humaine : l’ordre du désir, de la pensée, de la volition qui définit la personne émancipée du social. »
Je remercie Albert Anouilh de cette communication et de son résumé.
Michel Lages,
Président du CRHSSMP
27 décembre 2017